Naissance de Benjamin Delessert

RETOUR AU DOSSIER

Notice rédigée par France Mémoire


Benjamin Delessert naît le 14 février 1773 à Lyon où son père, Étienne Delessert, dirige une importante maison de commerce. Les Delessert, attachés à la religion réformée, ont des cousins à Genève, en Suisse, où la famille avait été contrainte de s’expatrier après la révocation de l’Édit de Nantes. Madame Delessert, née Madeleine Boy de la Tour, est elle-même originaire de Neuchâtel : elle sera la correspondante de Jean-Jacques Rousseau qui, proscrit, avait trouvé refuge en 1762 à Môtiers dans une maison appartenant à la famille de Madeleine.

Un réseau de relations cosmopolite et prestigieux

De la correspondance de Rousseau avec Madeleine Delessert, l’on conserve en particulier huit Lettres sur la botanique et un petit herbier, qui constituent en réalité un cours d’initiation destiné à la sœur aînée de Benjamin. Celui-ci a pu ainsi trouver auprès de sa mère un intérêt et un attachement précoces pour la science des plantes, et ces documents ont peut-être été le point de départ de la formidable collection botanique rassemblée plus tard par Benjamin Delessert.

Grâce à l’exceptionnel et très cosmopolite réseau de la famille Delessert, Benjamin aura bénéficié de fait d’une éducation extraordinairement stimulante. À Paris, les Delessert reçoivent Benjamin Franklin. Dès 1784, Benjamin voyage en compagnie de son frère Étienne, de deux ans son aîné, et d’un précepteur. Les voyageurs se rendent en particulier à Edimbourg où ils rencontrent le philosophe Dugald Stewart, le physicien John Playfair, l’économiste Adam Smith. À Birmingham, ils assistent aux essais de la machine à vapeur de James Watt. Ils sont accueillis à Windsor par le géologue Louis Deluc.

Première manufacture de sucre de betterave

Benjamin est de retour en France à la veille de la Révolution. Il poursuit ses études à l’école d’artillerie de Meulan, obtient le grade de capitaine et entre dans la Garde nationale. Il participe à diverses campagnes militaires, et notamment au siège de Maubeuge en 1793.

En 1794, disparait Étienne Delessert fils, emporté par la fièvre jaune aux États-Unis. Étienne Delessert père a passé deux années dans les prisons de la Terreur : en 1795, il confie la direction de son établissement industriel et financier à Benjamin, sans cesser totalement ses activités. Il contribuera ainsi à différentes innovations dans le domaine de l’agriculture : en lui, Benjamin aura trouvé le modèle de l’homme d’action et l’origine de sa foi dans le progrès scientifique.

En 1801, Benjamin Delessert rachète et mécanise une filature de coton à Passy. Il établit sur le même terrain une raffinerie de sucre : elle sera le siège d’une de ses plus grandes innovations. La France est alors coupée du commerce avec l’Amérique, et Napoléon, avec son ministre de l’intérieur Chaptal, encourage l’industrie française à trouver les moyens de pallier le manque de produits coloniaux. Si l’on sait depuis 1747 grâce au chimiste prussien Margraff que de nombreuses plantes communes contiennent du sucre, toute la difficulté réside dans son extraction en grandes quantités et dans sa cristallisation. Avec l’aide de différents collaborateurs et notamment de son ingénieux chef de fabrication, le chimiste Jean-Baptiste Quéruel, Delessert va parvenir à fabriquer un pain de sucre de betterave. 

Delessert, capitaliste et philanthrope

Capitaliste paternaliste, l’infatigable Benjamin Delessert entreprend en parallèle de nombreuses actions philanthropiques. En 1800, il fonde ainsi les soupes populaires. L’année suivante, il participe à la refondation de la Société philanthropique avec le duc de la Rochefoucauld, ainsi qu’à la fondation de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale destinée à favoriser le progrès technique. Il devient membre du conseil des Hospices. En 1802, il est nommé au conseil de régence de la Banque de France : l’institution fête alors ses deux années d’existence. Delessert en a seulement 29. En 1803, il crée des dispensaires, s’intéresse à l’amélioration des prisons. En 1818, inspiré par le modèle anglais, il fonde à Paris la première Caisse d’épargne avec une vingtaine d’associés : pour Benjamin Delessert, il s’agit d’un outil de prévoyance sociale à une époque où il n’existe ni système de retraite, ni sécurité sociale. Il fait dans la foulée interdire les loteries et les maisons de jeux, mesure indissociable pour encourager l’économie dans les classes populaires. La Caisse d’épargne ouvre bientôt des succursales en province. En 1835, toujours sous l’impulsion de Benjamin Delessert, une loi place les caisses d’épargne sous la garantie du Trésor public.

Très impliqué dans la vie politique, Delessert exerce jusqu’en 1842 plusieurs mandats de député. En 1803, il avait été appelé au Conseil d’État créé par Napoléon, puis élu membre de la Chambre des représentants en 1815, durant l’épisode des Cent-Jours.

Le Musée Delessert

En 1824, Benjamin Delessert, qui vient de perdre sa femme, acquiert à la Chaussée d’Antin, au cœur de Paris, le magnifique hôtel d’Uzès dans lequel il établit sa banque et la collection naturaliste qu’il a commencé à rassembler dès les premières années du XIXe siècle. S’il n’est pas rare à l’époque pour un particulier de posséder de telles collections, celle-ci se distingue par sa richesse exceptionnelle. L’amitié d’Augustin-Pyramus de Candolle, botaniste genevois, exerce un rôle majeur dans la vie de cette collection, autour de laquelle se crée un réseau savant. Delessert permet en effet aux scientifiques du monde entier de venir étudier ses livres et ses échantillons, autorise la consultation de plusieurs ouvrages, n’hésite pas à faire don de doubles ou à financer des publications scientifiques. Le Musée Delessert, confié à deux botanistes renommés, Antoine Guillemin et Antoine Lasègue, se visite tous les jours sauf le lundi, de 12h00 à 16h00. On y croise toute la communauté des botanistes, mais également des personnalités de l’époque pour lesquelles le musée devient un lieu de rendez-vous. À terme, la collection rassemblera plus de 8000 volumes dont de nombreux ouvrages rares, 250 000 spécimens de plantes, et 150 000 coquilles.

Quand Benjamin Delessert meurt sans descendance le 1er mars 1847, il lègue les collections botaniques à son jeune frère François, qui maintient l’institution jusqu’à sa propre disparition. Le Musée est alors fermé, la collection divisée : les herbiers sont donnés à Genève, où ils constituent aujourd’hui la base des collections du Conservatoire de botanique. Benjamin Delessert était membre libre de l’Académie des sciences depuis 1816, et les 8000 volumes sont confiés à l’Institut de France. Conformément à la volonté des légataires, les ouvrages sont regroupés à la bibliothèque de l’Institut dans un « fonds Delessert ».

À lire :

Séverine De Coninck, Banquiers et philanthropes. La famille Delessert (1735-1868) aux origines des Caisses d’épargne françaises, Paris, Economica/Association pour l’histoire des Caisses d’épargne, 2000, 197 p.

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Planche extraite d’un des herbiers de la collection Delessert © Minerv@/Bibliothèque de l’Institut de France

Illustration du chapô : Portrait de Benjamin Delessert © Archives de l’Académie des sciences

Illustration de l’article : À Passy, passerelle métallique de 52 mètres reliant la manufacture et l’hôtel particulier des Delessert © WikiCommons

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut